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Légendes entourant les lacs du Pic de Saint-Barthélemy


(Etang du Diable, ou Males, Etang des Truites)

 

Rappelons les quatre grandes thématiques regroupant les légendes liées aux étangs du Saint-Barthélemy:

a) météores: étang producteurs d'orage lorsqu'on en dérange les eaux
b) exhalaisons: les eaux sont noires et leur agitation provoque des exhalaisons sulfureuses, elles-mêmes responsables des dérangement météorologiques ci-dessus.
c) gueule d'enfer: ces étangs, profonds et sombres, communiquent avec les enfers par le bas.
d) anneaux de fer: les gros anneaux de fer avaient servi à amarrer des navires-refuges lors d'une invasion de la mer.

 


Sources anciennes

 

Dabord, voici les sources anciennes mentionnant ces légendes. Jusqu'au début du XVIIIe siècle, c'est bien le fantastique qui anime les esprits, et les légendes sont prises pour vérité vraie. Il faut attendre le début du siècle des Lumières, l'incursion des scientifiques férus d'Histoire Naturelle, pour voir ces prodiges ramenés à ce qu'ils sont: des "contes qu'on débite" (Astruc, 1737).

 

La première source: Bertrand Hélie, 1540:

La plus ancienne référence écrite semble se trouver dans "Historia Fuxensium Comitum" de Bertrand Hélie, ouvrage en latin, édité à Toulouse en 1540. Toutefois, je n'ai pas eu l'occasion pour l'instant de faire traduire les passages intéressants de cet ouvrage. Les seules indications en français dont je dispose sur cette source ancienne proviennent de Marcailhou d'Aymeric (1898):

"[...]Bertand Hélie dans son Historia Fuxensium Comitum (1), dit
«qu'on le croit une des bouches de l'enfer» mais il cherche toute-
fois à se rendre raison de cette croyance «par la prétendue
nature sulfureuse et bitumineuse des eaux».[...]"

Dans l'ouvrage de B. Hélie, c'est donc les thématiques de la gueule d'enfer et des exhalaisons sulfureuses qui apparaît d'emblée, dès la première source écrite.

François de Belleforest, 1575, 1598:

La référence suivante, distante d'une trentaine d'années, se trouve dans l'ouvrage "Histoires prodigieuses et memorables..." de François de Belleforest, (1575) [Note: il existe une autre édition datée de 1598, avec une typographie légèrement différente, et une pagination différente]. Ici, ce sont les deux thématiques "météorologique" et "gueule d'enfer" qui sont abordées. Dans l'ouvrage, le passage qui intéresse notre massif est assez court pour pouvoir être cité intégralement:

Ie voudroy demander la cauſe d'vn cas rare aduenãt en vn certain Lac qui eſt en nos monts Pyrenees, dedãs lequel ſi quelqu'vn iette vne pierre, il ne faudra de voir bien toſt, après auoir ouy vn eſtrange bouillonemēt dedãs les creux de ceſt abyme, des vapeurs & fumees, & puis des nuages eſpais, & apres l'eſpace de quelque demie heure, c'eſt merueille des tõnerres, & eſclairs, & de la pluie, qui s'eſmeut de ceſte eſmotion faite en l'eau, qui eſt cauſe que le pauure peuple penſe que ce ſoit vne gueule d'enfer, comme ainſi ſoit qu'on doiue accompter cela aux veines du lieu, qui ſont ſulfurees.

Ce fragment appelle d'abord quelques explications. D'abord pour la langue, précisons que "il ne faudra de voir" signifie ici "il ne manquera de voir", "c'est merveille des tonnerres" signifie "de surprenants tonnerres" ( cf: Dictionnaire Historique de la Langue Française, Robert). Ensuite, le lien peu net de "causalité" entre les "veines sulfurées" et "l'enfer" vient probablement du fait que le soufre est symbole d'enfer. On notera aussi que ni l'emplacement ni le nom exact de l'étang ne sont précisés. Cependant, tous les commentateurs de ce texte s'accordent pour conclure qu'il ne peut s'agir que de l'un des étangs du Saint-Barthélemy. Cela est dû notamment au fait que ce récit est repris, comme nous le verrons, par d'autres auteurs presque contemporains, avec cette fois-ci la mention explicite de l'endroit, et aussi au fait que cette légende n'est "revendiquée" par aucun autre lac des Pyrénées. On peut souligner également que les "veines sulfurées" en question se rapportent sans doute aux sources bouillantes et sulfurées d'Ax-les-Thermes, toutes proches, ou des autres sources thermales que l'on trouve au pied du massif (Ussat,...).

Pierre Olhagaray, 1609, 1629:

Chronologiquement, la description des étangs qui suit celle de Belleforest, est celle de P. Olhagaray, dans son "Histoire du Comté de Foix..." (1609, rééd. 1629 presque identique). Le texte relatif aux effets merveilleux des étangs s'entrelacent avec la relation d'un épisode survenu à l'occasion des cérémonies cultuelles qui ont eu lieu au sommet du Tabor dans la nuit du 23 au 24 août 1600. La citation complète (voir une reproduction des pages 704 et 705) de ce passage concernant le Massif de Tabe dans le récit d'Olhagaray est trop longue pour être reproduite ici et nous nous bornons donc à extraire les passages les plus significatifs:

[...] où il y a deux lacs, nourriſſiers de flãmes, feux & tõnerres: & l'on tiēt pour aſſeuré, que ſi on y iette quelque chose, auſſi toſt on voit vn tel tintamarre en l'air, que ceux qui ſõt ſpectateurs d'vne telle furie la plus part ſont conſumés par le feu, & briſés par les foudres ordinaires & originaires de l'eſtang [...]
Si c'eſtoit vne punition de Dieu ſur ces perſonnes, [...] ou vn air enflammé par l'eſtang agité de quelque perſonne ignorante de ſes proprietez, l'ayãt prouoqué & mis en fougue par quelque roc ou pierre qu'on y pouuoit auoir ietté, i'en lairray le iugement qui demeure encor indécis, & aux Theologiens & ſcauans philoſophes de ce ſiecle, auſquels appartient la cognoiſſance d'vne chose ſi merueilleuſe. L'on recite encor qu'au ſommet ſourcilleux de ces montagnes, on trouue de grandes chaines de fer, & de gros anneaux d'indicible groſſeur, & cõme d'arreſte nefs ou vaiſſeaux, ce que prés Taraſcon on voit, & plus haut encor prés de Tabe auec un cadenat, & qui à donné occaſion à quelques vuns deſcrire que la mer couurant le Languedoc s'eſtant reculée, auoit chaſſé sur la hauteur de ces monts à la creance des bateaux la plus part du peuple, ce qu'ils confirment par les figures de poiſſons petreffiez qu'on voit auiourd'huy és cauernes de ces montagnes; choses que ie tiens plus probable que croyable, ayans besoin pour acquerir creance, de plus fermes, & ſtables coniectures.

Dans ce texte, "i'en lairray" doit se lire "j'en laisserai"; "cõme d'arreste nefs ou vaisseaux" doit se lire "semblables à des anneaux d'amarrage"; "avoit chassé ... à la creance des bateaux" doit se lire "avait chassé ...avec des bateaux pour seul abri sûr"; et "plus probable que croyable" doit se lire "plus possible que certaine" (dans ce texte, "creance" = confiance).

Ici, les légendes relatives aux effets météorologiques des étangs sont reprises presque identiquement à celles rapportées par F. de Belleforest, mais la thématique de la "gueule d'enfer" n'est pas abordée. En revanche, c'est dans cette source qu'apparaît la thématique des anneaux de fer, ici agrémentée d'intéressantes "explications" hydrologico-géologiques: à la suite d'un cataclysme ou bouleversement présumé, la mer Méditerranée aurait envahi la région, et contraint les habitants à se réfugier sur des bateaux, amarrés au roc dans les montagnes (étant entendu que les sommets étaient les seules parties de la terre ferme à être restées emergées). Toutefois, la "preuve" de cet envahissement marin par les "poissons petreffiez", ne semble pas convaincre totalement notre chroniqueur.

Un autre point notable dans ce fragment, c'est la référence à d'autres auteurs, encore plus anciens, ceux qui ont eu l'occasion "descrire" ces explications à base de poissons pétrifiés. Je n'ai pas réussi à trouver à quels auteurs et quels ouvrages antérieurs fait ainsi allusion Olhagaray.

Pierre J. Fabre, 1639:

La source suivante est l'ouvrage de P. J. Fabre, "Hydrographum Spagyricum (1639). Dans ce traité en latin, on retrouve des éléments à peu près similaires à ceux rapportés par Belleforest ou Olhagaray. Ici, toutefois, il est mentionné qu'on peut déclencher les foudres en jetant des pierres, mais aussi simplement en agitant l'eau avec un bâton.

Louis Coulon, 1644:

Presque contemporaine, et dans un registre similaire, nous avons une nouvelle source dans l'ouvrage de Louis Coulon "Les rivières de France, ou description géographique ... (1644). Le fragment qui nous intéresse est le suivant (pp. 479,480):

"La montagne de Thabor eſt remarquable
ſur toutes les autres, où eſt vne plaine,
& en la plaine vn lac couuert de trui-
tes: l'eau en eſt extremément froide &
claire, là où ſi on jette quelque choſe,
comme i'en ay remarqué d'autres ſem-
blables ailleurs, les tonnerres & les
foudres ſont oüys gronder en l'air, ſui-
uis de greſle, de pluye et de tempeſte."

Dans cette source apparaît un élément nouveau et original, qui est la présence d'une plaine au sommet, dans laquelle est enchassé l'étang.

Important : Cette citation relative au Thabor par Coulon n'avait jamais été signalée auparavant par aucun auteur ayant écrit sur le sujet. C'est donc une source entièrement nouvelle dont la référence est inédite, que nous présentons ici. Cette source permet d'éclairer un problème de citation fantaisiste au XIXe siècle (cf. infra).

La raison triomphe, François de Plantade, 1721:

L'astronome-géographe François de Plantade arpente les sommets catalans et lagudociens des Pyrénées pour des mesures altimétriques. En marge de ses travaux, il fait de nombreuses observations d'Histoire Naturelle. Il fait l'expérience scientifique qui consiste à jeter un caillou dans l'étang du Diable, et à constater que... rien ne se produit. Voici ce que relate son mémoire, où il parle de lui-même à la troisième personne du singulier:
"Il a même été curieux d'examiner , s'il n'y auroit point de Coquillage parmi les Rochers de ces differentes Montagnes des Pyrénées , comme on aſſure qu'il y en a dans les Alpes , où l'on voit encore des Poiſſons pétrifiez ; mais il n'en a trouvé aucun Veſtige, pas même dans les Endroits où il ſembloit plus naturellement qu'il y en devoit avoir , comme dans les Lacs & les Etangs qui ſont ſur quelques-unes de ces Montagnes , tels que ceux de St. Barthelemi & du Canigou, &c. où il a reconnu la fauſſeté de ce que l'on publie ordinairement, qu'en jettant quelque Pierre , ou quelqu'autre choſe dans ces Lacs , il s'en éleve auſſitôt des Orages & des Tempêtes".

Jean Astruc, 1737:

La dernière source vraiment ancienne est l'ouvrage de J. Astruc, Mémoires pour l'Histoire naturelle de Languedoc , 1737. L'auteur établit une analogie entre les légendes liées aux lacs du Pic de Saint-Barthélemy, et celles, beaucoup plus anciennes, liées au lac du Mont Hélanus (aujourd'hui, le Lac de Saint-Andéol, sur les Monts d'Aubrac) A cette époque, on commence à réaliser que ces prodiges ne sont pas des manifestations surnaturelles et merveilleuses, mais seulement des légendes ou des contes:

"Enfin, pour parachever le parallèle, on prétend que le
lac de S. Barthelemi, si l'on en agite l'eau, excite sur
le champ des orages très-violens, accompagnez d'éclairs
& de tonnerres [...] Je suis bien con-
vaincu que le fait est faux, mais tout faux qu'il est,
il sert du moins à prouver qu'on débite encore du lac
de la montagne de S. Barthelemi à peu-près les mêmes
contes, qu'on débitait du tems de Gregoire de Tours,
du lac du Mont Hélanus."

A partir de là, toutes les sources ultérieures se borneront à citer ou rapporter les passages mentionnés ci-dessus, avec souvent un commentaire sceptique. Nul élément nouveau significatif ne vient désormais enrichir le récit.

Baron Philippe-Frédéric De Dietrich, 1786:

Le Baron suisse De Dietrich est dépêché pour examiner les ressources minières des Pyrénées et en évaluer la possible rentabilité. Il s'attarde assez longuement dans la région de notre pic. Pour finir, il effectue "l'expérience de la pierre" qu'il ne peut s'empêcher d'ajouter à son rapport intitulé "Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées".

Extrait de l'ouvrage de De Dietrich, 1786, (p. 155)
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)


 

 


Sources modernes

 

La fausse citation de Bergès, 1839:

On trouve toutefois sous la plume de M.C. Bergès, dans "Lectures morales suivies de la description du département de l'Ariège" (1839) une curieuse citation prétendument du XVIIe siècle, et prétendument d'Olhagaray. En effet, Bergès écrit:

"Nous terminerons cet article [sur les étangs] en citant tex-
tuellement à ce sujet les paroles d'un écrivain
de la fin du 16.me siècle; d'Olhagaray qui
parlait lui-même d'après Elias vivant à peu
près dans le même temps.

"La montagne de Tabor ou Tabe, qui"
"surpasse de hauteur toutes les autres, a en"
"son sommet une plaine, en la plaine un lac,"
"au lac des truites en quantité, l'eau très-"
"claire et extrêmement froide dans laquelle"
"si on est hardy de jeter chose quelconque"
"on oit et on voit aussitost les tonnerres et les"
"foudres en l'air, suivis de gresles, pluies et"
"tempestes, qui semblent vouloir abymer dans"
"les plus profonds avernes ce grand colosse"
"de mont, de sorte que ceux qui sont specta-"
"teurs n'en rapportent sur eux que des effets"
"tristes et malencontreux[...]"

Or, ce passage de M. C. Bergès pose un sérieux problème d'authenticité, le paragraphe qu'il cite n'étant manifestement pas d'Olhagaray: Le livre d'Olhagaray n'a connu que deux éditions (1609 et 1629), je les ai consultées toutes deux sur des specimens originaux, et elles sont strictement identiques, jusque dans les plus infimes détails. Il s'agit donc plutôt en 1629 d'un retirage des planches de 1609 que d'une véritable seconde édition (seules les pages de garde changent, la mention "Henri IV régnant" étant devenue obsolète en 1629). Le paragraphe cité par Bergès n'est pas non plus extrait de l'auteur qu'il nomme Elias, et qui n'est autre que le Bertrand Hélie dont il a été question plus haut. En effet Bertrand Hélie n'a publié qu'un seul ouvrage, celui qui a été cité ci-dessus et qui ne contient pas non plus la citation rapportée par Bergès.

Il reste alors peu de possibilités: soit Bergès a eu connaissance d'une source authentique, mais jusqu'à présent inconnue, soit il a laissé libre cours à son imagination, pour inventer cette citation.

Marcailhou d'Aymeric (1898) penche pour la seconde hypothèse, en précisant:
"nous ne savons point, malgré nos recherches où certains auteurs qui ont écrit sur l'Ariège, ont puisé le renseignement suivant qu'ils attribuent à Olhagaray [...suit la citation en question]. Cette citation pourrait bien être fantaisiste et avoir été inventée de toutes pièces".
On peut sans doute faire confiance à Marcailhou d'Aymeric, étant donné qu'il est toujours d'une grande exactitude dans ce qu'il avance. D'autre part, Bergès apparaît comme un auteur assez peu digne d'une confiance aveugle: il est bien souvent surpris en flagrant délit d'approximations hasardeuses dans ses propos. Ainsi, il prétend par exemple que l'astronome-géographe François de Plantade est mort sur les pentes du pic de Saint-Barthélemy, alors qu'il est parfaitement connu et reconnu que c'est sur les flancs du Pic du Midi de Bigorre qu'il s'est éteint, au col de Sencours exactement.

Notons qu'on trouve le même fragment de texte (fantaisiste?) dans d'autres ouvrages ariégeois du XIXème siècle (cf. par exemple J. et J. C. Pomiès, 1863), mais qui eux-mêmes reconnaissent puiser en grande partie leurs sources dans l'ouvrage de Bergès, et donc ne constituent pas une source nouvelle.

En définitive, à la lumière de la citation "nouvellement exhumée" de Coulon, rapportée ci-dessus, il possible d'éclairer (à titre posthume) la lanterne de Marcailhou d'Aymeric. Etant donné les similitudes avec plusieurs sources authentiques, il est tout à fait raisonnable de penser que la citation de Bergès est effectivement fantaisiste: cette citation apparaît finalement comme un mélange de fragments provenant d'une part des écrits d'Olhagaray et de Coulon sur le Thabor, et d'autre part d'écrits de Belleforest sur quelques autres montagnes prodigieuses qui ne sont pas le Thabor (mais plutôt les volcans). Ainsi, c'est dans Belleforest que l'on trouve la mention des "avernes", mot par ailleurs totalement inusité. C'est plus spécialement la partie finale de cette citation fantaisiste qui est la plus éloignée de toute source connue, et qui pourrait être sortie tout droit de l'imagination de Bergès.

Concernant les légendes de l'étang du Diable, Bergès (1839) rapporte toutefois une dernière innovation, lorsqu'il parle des croyances des bergers du massif:

"[...] Les bergers n'approchent
qu'en tremblant de ces eaux maudites du ciel.
Gardez-vous bien, vous disent-ils, de jeter
de la terre dans ce lac terrible, les démons
nous inonderaient d'une pluie funeste : en y
jetant une pierre, l'effet serait tout autre, ce
serait la grêle qui se précipiterait du sein des
nuages amoncelés à la voie du génie du mal.
Est-il étonnant que ces erreurs grossières se
soient popularisées chez de pauvres pâtres,
lorsqu'on les lit dans des auteurs graves et
jouissant jadis d'une certaine réputation"

La fausse citation de I. Sandy, 1934:

Les temps modernes abandonnent la crédulité face au fantastique et à la légende, mais c'est apparemment pour accoster sur les rivages de la falsification. Isabelle Sandy, dans son ouvrage "Le Pays de Foix" (Ed. de Gigord, 1934), nous gratifie d'une citation falsifiée de l'ouvrage d'Astruc mentionné ci-dessus. Par une subtile manipulation des propos d'Astruc, elle laisse entendre que les témoignages très anciens relatifs au Lac du Mont Hélanus se rapportent en fait à notre étang du Diable.

Voici le passage en question:
Sans se faire prier, l'instituteur me tendit les "Mé-
moires pour l'Histoire naturelle du Languedoc" de
Jean Astruc et dans ce livre il m'indiqua quelques
pages. Je lus avec ravissement pendant que sans
avertissement préalable il emplissait de nouveau mon
verre de cette liqueur rouge qui sent le fruit et l'abeille.
Et je lus: " Il y a sur une montagne appelée Thabor
un lac très profond et sur les bords de ce lac, une
église bâtie sous l'invocation de saint Barthélemy. Les
habitants des lieux circonvoisins s'y rendent en foule
tous les ans, le 24 du mois d'août. Il est vrai que les
gens du pays de Foix assistent aux messes qu'on
célèbre alors sur le Thabor non seulement dans l'église
mais même sur un autel qui est à découvert. Mais il
y a apparence que cette dévotion n'y a été établie que
pour sanctifier un reste de paganisme qu'il n'était pas
aisé d'abolir.
" On y faisait autrefois des sacrifices. Les messes
finies on répand des cendres sur l'autel qui est à
découvert et on trace sur ces cendres le nom de Jésus
ou tel autre qu'on veut. Cela fait croire que la céré-
monie n'a d'autre objet que de prouver que le sommet
est au-dessus de la région des pluies et des vents et on
prétend que l'année d'après on retrouve les cendres
dans le même état.
" Les Gaulois, à l'instar des Romains, honoraient
d'un culte religieux les étangs et les lacs, surtout ceux
qui étaient sur des lieux élevés. Les habitants des
environs se rendaient tous les ans auprès du lac dans
lequel ils jetaient en forme d'offrande des étoffes, des
toisons entières, des fromages. Pendant trois jours on y
faisait grande chère mais le quatrième jour quand on
voulait revenir il s'élevait un violent orage avec tant
d'éclairs, de tonnerres, de pluies et de grêle qu'on
désespérait de la vie et du retour. Longtemps après un
évêque voisin a fait bâtir sur les bords du lac une
église en l'honneur de saint Barthélemy."

Bien qu'il soit tout à fait possible, et même probable que les celtes aient vénéré notre étang, comme la plupart des étangs sombres et elevés, cela n'est absolument pas attesté spécifiquement pour l'étang du Diable lui-même. La citation ci-dessus est tout simplement trafiquée. Le dernier paragraphe, dans l'ouvrage d'Astruc, ne se rapporte absolument pas à l'étang du Diable au pied du Thabor, mais au lac Hélanus (lac de Saint-Andéol) sur les monts d'Aubrac. Quant à la dernière phrase du passage ci-dessus, c'est tout simplement un faux puisque la phrase authentique dans l'ouvrage d'Astruc est:
Grégoire de Tours ajoute, "que long-tems après un Evêque de
" la ville voisine (apparemment de Javouls) aiant fait
" bâtir sur les bords de ce lac, une Eglise en l'hon-
" neur de Saint Hilaire de Poitiers, il réussit enfin par
ses prédications à changer ce culte païen en un culte
légitime de S. Hilaire, ce qui fit cesser les orages, qui
arrivoient dans le tems du départ.

Voir sur les liens suivants la reproduction des pages 516, 517 et 518) de l'ouvrage d'Astruc.

Sous peine de devenir soi-même peu crédible, il faut se garder de faire dire aux écrits anciens ce qu'ils ne disent pas, et se garder encore plus de les faire mentir en les falsifiant.

Autres sources modernes (A compléter)

Marcailhou, Joanne (étangs de Nohèdes), Belloc, etc.

 


Commentaires

 

On trouve donc très tôt au sujet de l'Etang du Diable, le récit de sa susceptibilité météorologique tel qu'il sera repris presqu'identiquement jusqu'à nos jours. Ce type de récit plonge ses racines dans une thématique bien plus ancienne, datant des gaulois, et rapportée par Grégoire de Tours (VIe siècle), à propos du lac du Mont Hélanus, dans le Gévaudan.

La mutation est d'ailleurs surprenante: dans Gregoire de Tours, il ne fait pas de doute que ce sont les Dieux gaulois qui déclenchent le dérangement météorologique du lac du Mont Hélanus. Dans le cas de notre Etang du Pic de saint-Barthélemy, ce n'est pas Dieu qui entre en action mais s'il y a un responsable là-dessous, ce semble être plutôt le Diable. Eaux profondes et noires, supposées communiquer par leur fond avec les enfers, eaux répandant des vapeurs de soufre lorsqu'on les agite... Tout ceci est signé. D'où le nom de l'étang.

Notons enfin que tout à fait paradoxalement, ces orages, lorsqu'ils frappent les assemblées qui sont au sommet du pic à cet instant, sont considérés comme des punitions divines (cf. Olhagaray, 1609), ce qui contraste singulièrement avec l'atmosphère maléfique voire diabolique de l'étang! C'est donc le diable qui est à l'origine de la punition divine! Mais la cohérence et l'esprit scientifique n'étaient pas la première priorité au XVIème ou XVIIème siècle.


Sources: Gregoire de Tours (ca. 570), Hélie (1540), de Belleforest (1575), Olhagaray (1609), Fabre(1639), Coulon (1644), Plantade (1718), Astruc (1737), De Dietrich (1786), Bergès (1839), Pomiès (1863), Marcailhou d'Aymeric (1898), Sandy (1934).

Pour les références complètes, voir la page Références bibliographiques et cartographiques

Page mise à jour le 01/04/2007.