[ Accueil du Pic > Histoire et légendes sur le Pic > Toponymie historique > Génèse du toponyme ]


Quelques pistes concernant la génèse du toponyme
"Pic de Saint-Barthélemy"

NOTE: Cette page, nécessitant un travail important de documentation et de recoupement est largement sujette à améliorations. Tous commentaires, suggestions ou propositions sont les bienvenus (écrire à adresse email).

 

Le massif de Tabe et plus particulièrement le pic de Saint-Barthélemy ont toujours été des lieux empreints d'une forte valeur mystique pour les populations qui vivaient à leur pied, et dans la région: le massif de Tabe est le cadre de légendes et de croyances nombreuses et immémoriales, tandis que le sommet du Pic de Saint-Barthélemy passe pour être une montagne sacrée, un "trône des dieux" (Duhourcau, 1985), où se pratiquent des cultes solaires depuis les temps préhistoriques les plus reculés (Sarda, 1994). Le "barde romantique" ariégeois N. Peyrat, emporté dans l'emphase de métaphores encore plus exaltées, qualifie vers la fin du XIXème siècle ce mont de "Trône immaculé du Consolateur" (cité in Duhourcau - ibid.), tandis que Pomiès (1863) parle, de son côté, du "fameux pic gigantesque du Saint-Barthélemy", etc. Les références de cette nature, plus ou moins exaltées, fourmillent dans les chroniques anciennes et la littérature régionaliste, et la plupart d'entre elles se réfèrent en effet à des cultes immémoriaux. On doit certainement rattacher cette aura sacrée à plusieurs causes parmi lesquelles on peut citer: l'aspect isolé, sauvage et fort élevé du massif, vu de la plaine, ainsi que la forme remarquablement parfaite de sa silhouette; les nombreuses merveilles naturelles qu'il abrite (grottes, sources chaudes, fontaine intermittentes, profondes et mystérieuses forêts...); la relative facilité de son accès, bien qu'étant situé dans des régions plus tout à fait terrestres et déjà célestes (Astruc, 1737); et enfin surtout la fascinante et grandiose beauté et du lever du soleil à son sommet. Pour illustrer ce dernier point, citons à nouveau l'un des nombreux chroniqueurs du temps passé qui s'émerveillent devant tant de magie, Pierre Olhagaray, dans son "Histoire du Comté de Foix..." (1609, 1629):

"Il est nécessaire de sçavoir que Tabe ou Tabor est la plus haute montagne ès monts Pyrénées, d'où l'on voit beaucoup de notables secrets de nature, la levée du soleil avec une grandeur & Majesté incompréhensible: la mer Oceane, & Méditerranée..."

Comme on le voit, ce mont était désigné dans les récits anciens par des appellations forgées sur "Mont Thabor", et ses dérivés d'abord issus de l'occitan (Montanha de Tabo, de Taba) puis "Montagne de Tabe". La première attestation du nom de Taba apparaît dans une charte portant délimitation des territoires respectifs du comte de Foix et du seigneur de Mirepoix, datée de 1295. Une transcription moderne de cette charte peut être trouvée dans la monumentale "Histoire Générale de Languedoc" de Vaissete et Devic . A partir de cette date, les dénominations basées sur "Tabor" se poursuivent ensuite sans discontinuer dans les écrits.

Néanmoins, à une époque mal déterminée, on assiste à l'apparition d'un toponyme "Saint-Barthélemy", pour désigner l'ensemble du Massif de Tabe, le pic lui-même, ou les étangs enchassés en son flanc, le nouveau toponyme ne parvenant pas à éliminer les anciens, et venant donc simplement s'y ajouter. Les raisons de l'apparition (relativement soudaine) de ce toponyme constituent une sorte d'énigme qui, à ce jour, n'est pas vraiment résolue, faute de source écrite portant témoignage de l'enchaînement des faits historiques ayant conduit à sa création. Il est largement reconnu, comme l'indique Bergès (1839) que "au point le plus élevé du pic de St.-Barthelemy, existent les ruines d'une antique chapelle dédiée à Saint-Barthelemy, et c'est de là sans doute que la montagne à tiré son nom". Toutefois, cela n'explique pas réellement la présence de la chapelle à cet endroit, ni la raison pour laquelle elle fut dédiée à ce saint en particulier.

Il semble que l'émergence du toponyme "Saint-Barthélemy" en ce lieu soit relativement récente, du moins à l'échelle de l'histoire de la montagne. Selon Niel (1973): "il est probable que la substitution s'est faite vers la fin du XVIe ou au commencement du XVIIe siècle". En s'appuyant sur les mentions écrites, on doit faire remonter cette apparition au moins à l'année 1600, puisqu'au sujet de cette année-là, Olhagaray parle d'une "dévotion" (procession) se rendant au sommet et décrit "ce qu'arriva à Tabe le vingtroisiesme d'Aout", c'est à dire précisément la nuit de la Saint Barthélemy. On peut donc raisonnablement conclure que l'apôtre Saint Barthélemy était déjà attaché à ces lieux d'une manière ou d'une autre dès l'an 1600. Les sources plus anciennes ne permettent pas d'attester un rapport avec le saint à une date plus haute, puisqu'elles ne présentent que des toponymes basés sur "Tabor" et qu'aucun pèlerinage n'y est mentionnée. Pour voir apparaître la première occurence écrite explicite de "Saint-Barthélemy" en tant que toponyme pour les lieux qui nous intéressent ici, il faut attendre le traité de P. J. Fabre (1639) qui se réfère textuellement aux "Etangs de Saint-Barthélemy" et à "l'église consacrée à Saint-Barthélemy". Pour voir apparaître la mention du Pic de Saint-Barthélemy , il faut attendre la carte de Roussel (1730), qui indique "Montagnes de S. Berthelmy & de Tabe". Quant à la mention "Massif de Saint-Barthélemy", elle n'apparaît pas avant le XX ème siècle.

Mais, que la date effective d'apparition de ce toponyme remonte aux environs de 1600 ou à une date bien antérieure, le fait est qu'il n'existe aucune source historique donnant les raisons précises de cette apparition et le besoin qu'il y a eu de remplacer le toponyme déjà bien établi de "Tabor" par celui de "Saint-Barthélemy". Néanmoins, le recoupement de diverses sources permet d'entrevoir un enchaînement d'explications qui, bien que n'étant pas passé à la postérité à travers les chroniques écrites, semble raisonnablement plausible compte tenu du contexte intellectuel et mystique de l'époque. Dans cet article, nous essayons de dénouer l'écheveau et, à partir d'éléments concrets, de proposer une interprétation de ce qui a pu se produire à une époque donnée pour amener ce changement de toponyme.

Trois grands types d'explications

Le fait qu'il y ait eu substitution est indéniable, mais surtout, une telle substitution n'est pas un épiphénomène, un acte anodin, et implique au contraire une raison précise. Etant donné l'existence de la chapelle au sommet, il est logique penser, avec Pomiès que le changement de nom a résulté de l'érection de la chapelle. Mais ceci n'explique pas les raisons qui ont conduit à ériger cette chapelle en cet endroit, ni sa dédicace à Saint Barthélemy. Quoi qu'il en soit, la substitution toponymique résultant de l'érection de la chapelle, c'est donc bien une raison liée à la religion qui en est à l'origine. Partant de là, on peut on peut donc entrevoir trois grandes familles d'explications pour l'émergence de cet hagiotoponyme, en relation avec les trois religions qui ont eu cours par le passé, dans notre région: le catholicisme, le catharisme, et le protestantisme.

La première explication possible est très peu documentée dans les sources anciennes. Elle est centrée sur les luttes entre l'Eglise chrétienne et les restes de paganisme difficiles à éliminer dans les croyances attachées au lieu. Précisons que cette tentative d'explication est largement personnelle car il n'en a pas été trouvé trace ou mention à quelque endroit que ce soit. Il faut donc y voir plutôt une piste plausible proposée au lecteur, plutôt qu'une explication historique pleinement autorisée.

La seconde explication est centrée sur le catharisme. Ell est plus documentée, ce qui ne signifie pas nécessairement qu'elle soit pas mieux étayée, car là, toutes les sources abordant le sujet sont postérieures de beaucoup aux faits eux-mêmes. On sait que le sujet du catharisme a fait couler beaucoup d'encre, surtout à partir du milieu du XIXe siècle, notamment autour de tout ce qui touche aux mystères de Montségur, qui ont généreusement inspiré beaucoup d'historiens ou d'essayistes, à la plume parfois plus lyrique et audacieuse que rigoureuse. Pour les plus exaltés, on parle de néo-catharisme. Or le Massif de Tabe possède à tous points de vue des rapports de proximité indéniables avec Montségur, et à ce titre, a aussi reçu sa part de récits, d'interprétations et ... de mythes.

Enfin, si l'on veut être exhaustif, il faut également envisager l'érection et la dédicace de la chapelle sous l'angle des guerres de religion, qui entre 1490 et 1640 ont été très virulentes dans la région. Delescazes (16??) relate les événements qui se sont succédés dans le comté, et montre que d'un côté comme de l'autre, un fanatisme exacerbé régnait dans les esprits. Il n'est donc pas impossible que l'érection de la chapelle s'inscrive dans le contexte de cette guerre civile, à l'occasion d'un événement important de son déroulement. Cette piste, qui aurait pour elle une parfaite concordance dans les dates, n'a jamais été explorée par aucun auteur.

Chacune de ces thèses possède ses attraits mais aussi ses points faibles, qui seront relevés et examinés avec le plus d'honnêteté possible au cours des développements ci-dessous.

1 ) Explication à partir de l'Eglise catholique

Pour tenter de comprendre l'émergence du toponyme "Saint-Barthélemy" à partir de l'Eglise catholique, deux détours, l'un vers la plus haute antiquité, et l'autre vers les Andes à l'époque de la Conquista espagnole, seront utiles. Le détour vers l'antiquité servira à détailler la filiation syncrétique, tout à fait établie, largement reconnue et documentée, entre Hephaïstos-Vulcain et Barthélemy, et à mieux comprendre les liens étroits qui unissent ce saint avec le monde des volcans et des orages. Le détour par les Andes s'explique lui tout simplement par le fait qu'il existe pour cette région une littérature ancienne très abondante sur les rapports entre Barthélemy, le Dieu Tunupa, et les phénomènes volcaniques et orageux; et que par voie de conséquence, les recherches sur le sujet y sont beaucoup plus avancées et riches que pour notre pic ariégeois. Les travaux rigoureux de Thérèse Bouysse-Cassagne apportent un éclairage très précis et très détaillé sur ces thèmes, et une synthèse remarquablement riche d'enseignement pour notre sujet particulier se trouve dans un article disponible sur internet (voir l'article). Dans cette page nous utilisons largement les observations rapportées dans la synthèse en question.

     La filiation entre Hephaistos-Velchans-Vulcain, Tunupa, et Saint-Barthélemy

Lorsqu'ils entraient en contacts avec d'autres religions du fait des migrations, des invasions, ou des échanges, les peuples animés de croyances polythéistes ont souvent procédé à des tentatives d'identification de leurs divinités avec celles qui leur apparaissaient à cette occasion. On connaît par exemple la correspondance parfois très fine qui existe entre les dieux romains et les dieux grecs, et aussi, dans une moindre mesure, les correspondances moins nettes, plus imparfaites entre certains dieux gaulois et leurs homologues romains. Ce qui est plus curieux, c'est que la religion chrétienne, toute monothéiste qu'elle fût, ne parvint pas à éradiquer totalement ce besoin d'identification. Mais dans ce cas, devant l'impossibilité de se référer à des dieux chrétiens, c'est le cortège des saints qui va être convoqué pour s'approprier les "attributions" et spécialisations jadis dévolues aux divinités païennes. Comme nous le verrons, la papauté n'a jamais jugé opportun de s'attaquer frontalement aux réminiscences des anciennes convictions païennes, fortement implantées dans les populations, et a toujours préféré infléchir en douceur ces croyances, afin de les intégrer du mieux possible dans des éléments de foi populaire compatibles avec le dogme de l'Eglise. Les fêtes et cultes païens qui rythment l'année, seront progressivement christianisés, tandis que les attributions de certaines divinités seront habilement réparties entre les Saints du calendrier.

Bouysse-Cassagne, parmi d'autres, nous rappelle qu'en ce qui concerne Hephaïstos, le premier par ordre d'apparition parmi ceux qui nous intéressent, il était le dieu des volcans exclusivement. En revanche, le dieu étrusque Velchans, qui est à l'origine du dieu romain Volcanus (Vulcain), était le dieu de la foudre exclusivement - c'est d'ailleurs Vulcain qui forgea la foudre que Jupiter tient dans sa main). Vulcain était, au plus fort de l'été, associé aux feux ravageurs qui détruisent les moissons, c'est pourquoi les volcanalia (vulcanales), les fêtes du dieu, avaient lieu au plus chaud de l'été, le 23 aout, afin de prévenir ces incendies de récoltes. Ce n'est qu'à l'époque classique, avec la colonisation par les Romains de l'Italie du sud et de la Sicile, éminemment volcaniques, que se fit sa "fusion" ou sa "synthèse" avec le dieu des Grecs et que Vulcain devint aussi le dieu des volcans.

Bouysse-Cassagne précise: "Vulcain donna alors son nom à une des îles éoliennes (au nord de la Sicile), et l'ancienne Hiera des Grecs devint ainsi Vulcano. Selon une légende romaine forgée à partir de la tradition grecque, le cratère de l'île de Vulcano, était l'ouverture vers un monde souterrain, où se trouvait l'atelier du dieu du feu et des forgerons, mais cette tradition semble plus littéraire que religieuse. La plus célèbre éruption de l'Antiquité, on le sait, fut celle du Vésuve en 79 de notre ère, qui causa la mort de Pline l'Ancien. Pline le Jeune, qui nous en donna le récit situe sa phase cataclysmale, le 24 août à l'aube, c'est à dire le lendemain du jour où l'on fêtait les Volcanalia".

Ensuite nous parvenons aux débuts de la religion chrétienne. Les premiers pères de l'Eglise reprennent cette thématique de localisation géographique précise dans les volcans, mais cette fois pour y situer les enfers (les grecs et les romains le voyaient plutôt dans les cavernes insondables). Citons à nouveau Bouysse-Cassagne: " La tradition chrétienne plaça le royaume du démon sous le Vésuve, et Tertullien (16O-225) fut l'un des premiers pères de l'Eglise à le décrire; il appela le Vésuve, "la cheminée de l'Enfer". Plus tard dans ses Dialogues, le pape Grégoire le Grand (54O-6O4) situa l'Enfer chrétien à Vulcano [...]. Un autre enfer se trouvait dans les "îles de Sicile" où sont "ouvertes les marmites des tourments qui crachent le feu". Jacques de Voragine, au XIII ème siècle, dans sa Légende Dorée, rapporte que près des volcans de Sicile, on entend en effet les démons se plaindre que les âmes des damnés leur soient arrachées par les prières et les aumônes des chrétiens."

Nous arrivons alors aux rapports qui unissent Vulcain à Barthélemy et sur la raison probable qui fait que c'est Barthélemy, et non un autre saint, qui, dans la croyance populaires a pris la suite de Vulcain et hérité de ses attributions. Après avoir évangélisé la Perse, l'Arménie et autres régions orientales regroupées sous le nom générique "d'Indes", Barthélemy y périt martyrisé. Les "Vies des Saints", et le passage de la Légende Dorée le concernant, rapportent unanimement que son cercueil y fut jeté à la mer, accompagné de quatre autres, et que celui de Barthélemy échoua sur l'île de Lipari, au nord de la Sicile dans l'archipel des Eoliennes, à proximité immédiate de l'île de Vulcano. A ce moment-là, Vulcano, qui ne cessait de vomir du feu s'éloigna de sept stades de la côte de Lipari et demeura au milieu de la mer. D'autres épisodes prodigieux relatifs à ses restes s'ensuivirent. C'est probablement à cause de cette proximité géographique entre l'antre de Vulcain et le point d'arrivée du dernier "voyage" de Barthélemy, que l'apôtre fut choisi pour succéder à Vulcain, héritant au passage de ses "attributions" (les volcans, mais aussi la foudre et les orages). Le calendrier chrétien plaça la fête de Saint Barthélemy le 24 août, à proximité immédiate des anciennes fêtes païennes du dieu Vulcain.

Pour illustrer dans la vie concrète des temps anciens ces liens entre Vulcain et Barthélemy , on peut ajouter que les "Vies des Saints" mentionnent effectivement le fait que le culte de Vulcain a été remplacé par le culte à Saint Barthélemy en de nombreux endroits. Plus près de nous Marcailhou d'Aymeric (1898, rééd. 2001) dans sa notice sur la Montagne de Tabe, signale (p. 23) que Saint Barthélemy est le saint que l'on invoquait au Moyen-Age pour être préservé des orages. D'autre part l'attribut de Saint Barthélemy est le couteau (car dans son martyre il a été écorché vif, ce qui lui vaut aussi d'être le patron des bouchers et des tanneurs...). La légende populaire veut qu'il coupe les orages avec son couteau, et épargne ainsi les moissons. On retrouve ici la très ancienne thématique des ravages de moissons qui était déjà l'apanage de Vulcain. Par ailleurs (et... apparemment en totale contradiction), selon un dicton météorologique de Moselle, les orages de la Saint-Barthélemy sont les plus violents (mais c'est sans doute si l'on a omis d'invoquer le saint en bonne et due forme...).

Du fait de la confusion entre les Indes (l'Orient) qui avaient été évangélisées par les apôtres Barthélemy et Thomas, et les terres d'Amérique nouvellement découvertes (désignées aussi sous le vocable d'"Indes"), l'évangélisation forcée de l'Amérique du Sud se trouvera ainsi placée sous le patronage conjoint et durable de Saint Barthélemy et de Saint Thomas. Dans sa synthèse, Bouysse-Cassagne montre comment, par un phénomène similaire à celui qui avait agit en Occident, c'est le dieu Tunupa, lié aux volcans et à leurs lacs, qui dans les Andes se verra ainsi "métamorphosé" en Saint Barthélemy à l'époque de la Conquista espagnole, bien que dans ce cas, l'aspect protéiforme des représentations soit plus marqué et qu'il n'y ait pas correspondance tout à fait unique avec ce saint (d'autres représentations font parfois apparaître Saint Thomas dans ce rôle). Néanmoins dans les Andes, Barthélemy est le saint volcanique par excellence, et donne lieu à un culte de substitution très riche. Mais, toujours selon Bouysse-Cassagne, ce culte à Saint Barthélemy ne suffit pas à modifier la totalité des croyances qui accompagnaient les volcans. Des rites plus ou moins vivaces, des mythes ou des cultes à l'état résiduel, sont encore perceptibles aujourd'hui, ou sont l'objet de transformations ou d'efflorescences, preuve de leur longévité.

En résumé, du moins pour l'Occident médiéval, Saint Barthélemy est donc le continuateur de l'Hephaïstos-Vulcain antique, et son domaine d'attribution est donc tout ce qui touche aux orages, aux volcans, et à leurs manifestations. En particulier, dans la tradition populaire chrétienne, c'est Barthélemy qui a le pouvoir de protèger efficacement des orages, s'il est dûment invoqué.

 

 

     Les liens entre les volcans et les Enfers

 

Comme nous l'avons vu plus haut, l'Enfer "chrétien" sera, dès les origines du christianisme localisé sous la Terre, à proximité des grands volcans connus: tantôt Vulcano (Grégoire le Grand), tantôt le Vésuve (Tertullien) ou l'Etna (Quevedo) -- il ne manque que le Stromboli. En fait, ces volcans sont considérés comme autant de "cheminées de l'Enfer" ou de portes d'entrée vers le royaume du démon. Auparavant, dans l'Antiquité, c'était plutôt une interprétation "organique et animale", si l'on peut dire, qui prévalait: le volcanisme était lié à la libération soudaine de "vents" engendrés à l'intérieur de la Terre par la combustion de poix, de bitume, de soufre et d'alun. On notera au passage l'association entre les miasmes sulfureux, communs à la bouche des volcans, et le Malin. Etant donné la multiplicité des lieux supposés par la suite abriter le repaire du Malin, on peut raisonnablement penser que ce concept chrétien du volcan vu comme une porte de l'Enfer s'est généralisé rapidement des quelques volcans italiens majeurs, à tous les volcans actifs, puis à tout ce qui de près ou de loin pouvait passer pour le siège de phénomènes volcaniques ou au moins sulfureux. Nous allons voir qu'au moins deux étangs de la région pyrénéenne qui nous intéresse sont considérés comme des abimes communiquant avec l'enfer.

     Les orages et les Enfers au Pic de Saint-Barthélemy

 

Similairement aux volcans italiens, notre Etang du Diable (également désigné sous le nom de Gourg Négré, c.à.d gouffre noir), avec ses eaux noires insondables supposées bitumineuses, ses vapeurs sulfureuses, se retrouve qualifié de "gueule d'Enfer" dès les plus anciens écrits, comme par exemple Belleforest (1575). Hélie (1540) et Fabre (1639) font référence aux "démons du lieu", et Belleforest évoque les "veines du lieu, qui sont sulfurées". L'étang est considéré comme un "gouffre" (gourg) ou un "abyme" (c'est à dire, spécifiquement, comme propre à engloutir irrémédiablement tout ce qui s'y trouverait plongé) communiquant avec les enfers.

La croyance la plus profondément ancrée autour de cet Etang du Diable concerne les orages qui se déclenchent lorsqu'on y jette un caillou ou lorsqu'on en agite l'eau avec un bâton. Parmi les très nombreuses mentions de cette croyance, citons par exemple Belleforest:

" Ie voudroy demander la cause d'vn cas rare aduenãt en vn certain Lac qui est en nos monts Pyrenees, dedãs lequel si quelqu'vn iette vne pierre, il ne faudra de voir bien tost, après auoir ouy vn étrange bouillonnement dedãs les creux de cest abyme, des vapeurs & fumees, & puis des nuages espais , & apres l'espace de quelque demie heure, c'est merueille des tõnerres, & esclairs, & de la pluie, qui s'esmeut de cette esmotion faite en l'eau, qui est cause que le pauure peuple pense que ce soit vne gueule d'enfer, comme ainsi soit qu'on doiue accompter cela aux veines du lieu qui sont sulfurees.

Les orages sont alors interprétés comme étant déclenchés par le Diable, mécontent d'être dérangé par les jets de pierres. Tout ceci transparaît dans les divers toponymes attaché à notre étang: Etang du Diable, Etangs Males (c.à.d. maudits), Gourg Négré, etc.

Dans le même ordre d'idées, un autre lac sombre et élevé, tapi dans des parages solitaires et désolés, le Gorg Negre (ou Etang d'Evol - situé au pied du versant sud du Madres, Aude), est le cadre de légendes "orageuses" similaires, et est aussi considéré comme le cratère d'un volcan. Voici ce qui est indiqué au sujet de ce lac par Napoléon Chaix dans son "Guide aux Pyrénées", édition 1860 (p. 608):
"A peu de distance et sur la gauche, l'étang Noir, le plus vaste
de ce groupe, doit sa teinte à la profondeur de ses eaux, dans un
enfoncement que l'on croit être un ancien cratère. Des sapins sombres
et touffus tapissent se bords disposés en forme d'entonnoir, et
couverts au nord par des glaciers. Sa largeur est d'environ 500 m.
[...] La crédulité des montagnards entoure ce lac d'un prestige
superstitieux. Ils prétendent qu'il suffit de jeter des pierres dans ses
eaux, séjour des esprits malfaisants, pour voir se former des nuages et
des tempêtes [...].

Selon Niel (1973) "des légendes analogues couraient sur le lac Pavin, dans le Puy de Dôme". Mais là, en l'occurence, il s'agit bien du cratère d'un véritable volcan, éteint depuis longtemps.

On voit qu'il semble y avoir eu généralisation de la localisation de l'entrée des enfers à des lieux n'ayant qu'un lien assez ténu avec un volcanisme réel, pourvu que ces lieux soient le siège d'émanations sulfureuses, ou autres manifestations pouvant évoquer un volcanisme imaginaire. Les croyances qui se tissent autour des ces lacs semblent reposer sur un entremêlement de causes liées aux volcans, aux vapeurs sulfureuses qui s'enflamment en s'en échappant, se transforment alors en tempêtes et éclairs. Tous ces prodiges sont compris comme étant la manifestation des démons qui hantent ces "abymes" malfaisants. Notons que ces croyances sont probablement fort anciennes: Grégoire de Tours, au VIème siècle en relate de similaires en les décrivant lui-même comme étant déjà fort anciennes, puisque se rapportant aux gaulois et à leurs cultes.

 

     Exorcismes par l'Eglise de Saint-Barthélemy

 

Pour l'Eglise, ces manifestations un peu trop insistantes et éxubérantes du Démon en ces terres fraîchement christianisées ne sont pas admissibles. La papauté, représentante sur Terre du Dieu unique et triomphateur, se doit de démontrer sa supériorité en faisant cesser ces maléfices. Par ailleurs, du point de vue de l'Eglise, ce n'est pas uniquement le Malin lui-même qui est en cause, par sa présence s'imposant à la population malgré elle: indirectement, c'est aussi la population que serait responsable des ces manifestations démoniaques, à cause des cultes païens qui sont régulièrement pratiqués sur le mont. Astruc (1737) note ainsi, au sujet du pélerinage annuel instauré à l'Etang du Diable:

Mais il y a apparence que cette dévotion n'y a été établie,
de même que sur le Mont Helanus, que pour sanctifier
un reste de paganisme qu'il n'était pas aisé d'abolir. C'est
ainsi que S. Grégoire le Grand permit aux anglois nou-
vellement convertis à la foi, de continuer de s'assembler
en certains tems de l'année autour de leurs anciens Tem-
ples qui avoient été changez en Eglises, d'y faire des
feillées de branches d'arbres, suivant leur coutume, &
d'y célébrer les banquets religieux qu'ils faisoient au-
paravant, pourvû que ce ne fût plus que pour les man-
ger, qu'on tuât les boeufs qu'on immoloit autrefois aux
Idoles. La raison que le pape rend lui-même de cette to-
lérance ne sçauroit être plus sage, "c'est parce qu'il est
difficile, dit-il avec des esprits grossiers et entêtez
de pouvoir d'abord tout retrancher"

Dans ces cas de croyances en l'oeuvre du Démon et de survivances de rites païens, l'Eglise possède une réponse qui semble faire ses preuves: édifier au voisinage immédiat du lieu qui pose problème, une chapelle ou église dont la dédicace judicieuse à un saint patron efficace fera cesser tous ces débordements. C'est ce que rapporte Grégoire de Tours (traduit par Astruc) au sujet du "lac du Mont Helanus dans le Gévaudan" (i.e. le Lac de Saint-Andéol dans l'Aubrac), et sur la méthode employée par l'évêque de la ville voisine (Javols) pour éradiquer à la fois les rites païens et leurs suites surnaturelles et démoniaques:
"aiant fait bâtir, sur les bords de ce lac, une Eglise en l'hon-
neur de Saint Hilaire de Poitiers, il réussit enfin par
ses prédications, à changer ce culte païen en un culte
légitime à S. Hilaire, ce qui fit cesser les orages qui
arrivoient dans le tems du départ".

On peut donc raisonnablement penser que devant la vivacité des rites et leurs effets maléfiques, la même "technique" a été employée pour rétablir l'ordre divin dans les parages de l'Etang du diable: érection d'une chapelle à proximité de l'étang et dédicace de celle-ci à un saint patron efficace. Etant donné le contexte mystique de l'époque, Saint Barthélemy, en tant que familier des volcans, en tant que protecteur contre les orages, a du sembler tout indiqué pour mener à bien cet exorcisme avec les meilleures chances de succès. De plus, détail important, la fête de Saint Barthélemy tombait opportunément au mois d'août, à l'époque la plus chaude de l'année, où l'on pouvait gravir au mieux le mont et séjourner en son sommet pour la nuit. Comme l'indique P. J. Fabre (1639) le mois d'août est le seul mois où le sommet du mont, libéré de ses neiges "éternelles", devient accessible. Mais précisément, nous savons que le fait que la Saint Barthélemy tombe le 24 août, au plus fort de l'été, n'est pas un hasard, puisque cette date lui vient directement de son prédecesseur Vulcain, et de ses vulcanales... C'est donc le 24 août, jour de la Saint-Barthélemy, que sera instituée la procession annuelle qui doit rendre l'exorcisme efficace, en "adaptant" les rites pratiqués au sommet depuis les temps immémoriaux, en des rites plus catholiques. On sait par Olhagaray (1609) que cette partie du programme connut un succès beaucoup plus mitigé (la partie nocturne de la dévotion se terminant bien souvent de manière plus lascive et païenne que catholique...) et que contrairement au cas du Lac du Mont Helanus, les manifestations orageuses ne furent pas jugulées.

     Les succès d'un toponyme

 

Toujours est-il que la chapelle est finalement consacrée, et que la date du culte au sommet est déplacée au 24 août, jour de la Saint-Barthélemy. Il y a tout lieu de croire, étant donné l'ancien toponyme "Mont Tabor", que la date précédente pour les cultes au sommet était celle du 6 août, jour de la Transfiguration du Christ sur le Mont Thabor en Palestine, cette date venant elle-même probablement en remplacement de celle de la fête de Lugnasad, fête celtique de la fertilité et de la fécondité dédiée au dieu Lug sous sa forme lumineuse, et qui avait lieu aux alentours du 1er août. Ainsi, les cultes au sommet auraient subi un glissement progressif d'une vingtaine de jours en environ 2000 ans (tout en conservant dans le modus operandi nocturne, la lointaine réminiscence du fait qu'il s'agissait initialement d'une fête de la fertilité). \\ L'érection d'une "église" (même si cet édifice ne fut peut-être jamais un véritable édifice couvert) en des lieux si élevés et inhabituels avait de quoi marquer les esprits, et on peut raisonnablement penser que ce nouveau fait marquant a pu conduire les habitants de la région à désigner d'abord l'étang sous le nom du saint qui était censé l'exorciser. Ainsi on a pu se référer d'abord , à "l'Etang de Saint-Barthélemy", ce nom devant se comprendre comme: "l'Etang de la chapelle de Saint-Barthélemy" ou "l'Etang exorcisé par la chapelle Saint-Barthélemy".

A ce titre, il est un fait remarquable, c'est que P.J. Fabre, dans son traité (1639) parle invariablement de "l'Etang de Saint-Barthélemy" , alors que le mont est invariablement désigné par "Mont Tabor". Ces désignations sont systématiques, et se trouvent répétées à plusieurs reprises, toujours rigoureusement sous cette forme. Fabre mentionne également "l'église dédiée à Saint Barthélemy", située près de l'étang. Il y a donc tout lieu de penser qu'à cette époque, la mention du pic sous la forme Pic de Saint-Barthélemy n'était pas encore intelligible, ce qui semble étayer l'évolution proposée.

Ensuite on en arrive à désigner le pic par "Pic de Saint-Barthélemy" ce qui doit probablement se comprendre en substance comme un raccourci de "Pic de la chapelle Saint-Barthélemy". Cette évolution, comme on l'a vu, n'est pas encore effective en 1639, mais elle l'est devenue en 1730, date de la carte de Roussel. A cette date, l'appellation "Pic de Saint-Barthélemy" doit être très récente car la carte présente le double toponyme suivant: "Montagnes de S Berthelmy \& de Tabe", comme si là encore, le premier toponyme à lui seul n'était pas suffisant pour la compréhension. En 1783, la carte de Cassini n'indique plus que "Pic de St Barthélemy", sans risque d'équivoque.

Enfin, c'est le massif en entier qui hérite, par extension, du toponyme "Massif de Saint-Barthélemy", celui-ci devant se comprendre comme un raccourci de langage pour "Massif du Pic de Saint-Barthélemy", après que cette l'appellation "Pic de Saint-Barthélemy" fut devenue clairement intelligible en elle-même. D'ailleurs dans l'usage courant, une incertitude permanente persiste entre les appellations "Massif du" et "Massif de", la première version indiquant clairement la réminiscence du raccourci de langage évoqué ci-dessus, puisque le pic lui-même est couramment désigné simplement par "le Saint-Barthélemy", comme lorsque l'on se réfère au Vignemale, au Canigou, ou au Montcalm. Le toponyme "Massif de Saint-Barthélemy", dernier avatar de cette longue chaîne d'évolution, est d'apparition récente (aux environs du début du XX ème siècle).

On remarque qu'au fil du temps, les dénominations "Chapelle de Saint-Barthélemy" et "Etang de Saint-Barthélemy" sombrent peu à peu dans l'oubli et sortent de l'usage. Le pèlerinage annuel est abandonné vers la fin du XVIII ème siècle selon Marcailhou d'Aymeric (1898), et la chapelle tombe en ruine peu après, remplacée bien plus tard par une chapelle plus accessible de l'autre côté de la vallée de l'Ariège, au dessus du village de Larcat. La mémoire collective conserve l'existence de cette chapelle primitive, mais son emplacement exact ne fait même plus consensus. Il est vrai que l'imprécision des écrits, y compris contemporains de l'édifice, n'aide pas à cette localisation: certains auteurs le placent au sommet exact du Pic de Saint-Barthélemy lui-même, d'autres sur les rives de l'Etang du Diable, et d'autres encore à proximité du Col du Pas de l'Ours. En ce qui concerne le toponyme "Etang de Saint-Barthélemy", utilisé par P. J. Fabre (1639) pour désigner l'Etang du Diable spécifiquement, il n'est absolument plus intelligible de nos jours. Si l'on se réfère aux "Etangs du Saint-Barthélemy" (au pluriel), il y aura ambiguité entre d'une part les trois étangs de son flanc nord (Etang Supérieur, du Diable, et des Truites), et d'autre part l'ensemble des étangs du massif, ce qui inclut aussi l'Etang Tort, l'Etang d'Appy, l'Etang de Font Albe, le Grenouillère, etc. Mais en aucun cas le toponyme "Etang de Saint-Barthélemy" (au singulier), ne serait compris de nos jours comme se référant spécifiquement à l'Etang du Diable. Tout se passe donc comme si le toponyme "Saint-Barthélemy" s'était peu à peu détaché de ses attributions d'origine, pour en arriver à ne plus désigner que le pic et le massif en entier, ce qui n'était pas le cas originellement.

     Les objections à cette thèse

Cette thèse, qui met en jeu les luttes entre un paganisme trop vivace et l'Eglise catholique, se fonde principalement sur la spécificité du lieu, qui est d'abriter à la fois des croyances maléfiques et des cultes solaires, qu'il s'agit pour l'Eglise de détourner, de christianiser le plus efficacement possible. En d'autre termes, selon cette thèse, ce n'est que parce le lieu présente cette opposition entre un lac maudit associé au diable et un sommet sanctifié par la lumière, que ce besoin d'exorcisme a été ressenti. S'il n'y avait que le sommet sans le lac et ses orages sulfureux, la chapelle aurait tout aussi bien pu être dédiée à "Notre Dame du Mont Thabor" ou encore à tout autre saint, comme cela se voit couramment, et il n'y aurait eu aucun besoin d'invoquer spécifiquement Barthélemy en ce lieu. Inversement s'il n'y avait eu que le lac maudit, sans le sommet lumineux, sans cultes solaires, il y aurait peut-être eu une chapelle dédiée à Barthélemy sur ses rives, mais il n'y aurait certainement pas eu cette dénomination de "Mont Thabor" appliquée le sommet.

En conséquence, cette association, cette superposition entre Thabor et Barthélemy n'apparaît, selon cette thèse, comme naturelle que parce que le lac maléfique et le sommet lumineux coexistent en un même lieu. C'est ici que réside l'un des principaux points faibles de cette explication, car il existe ailleurs en France des associations similaires entre les toponymes Thabor et Barthélemy qui semblent se passer totalement de l'intermédiaire de ces maléfices et exorcismes rencontrés à Tabe, et présentés comme constituant un ingrédient fondamental de l'enchaînement des faits ayant conduit à cette substitution toponymique. En l'absence de phénomènes volcaniques ou orageux attachés spécifiquement à ces monts Thabor, il n'y a pourtant aucune raison apparente de faire intervenir Barthélemy dans les environs d'un mont Thabor.

Des telles associations entre Thabor et Barthélemy peuvent se découvrir pour la totalité des quatre "Monts Thabor" qui existent en France ou à proximité immédiate (parmi ces quatre Monts Thabor, trois sont dans les Alpes, et le dernier, notre Montagne de Tabe se trouve dans les Pyrénées). C'est F. Niel (1973) qui souligne ces associations un peu curieuses s'il ne s'agit pas d'une simple coïncidence. Citons le passage de livre de F. Niel:

"[...] Dans les Alpes, plusieurs
sommets portent le nom Tabor ou Thabor et, coïncidence curieuse, on
trouve près de ces monts des noms ou des circonstances qui rappellent
saint Barthélemy. La dent d'Hérens, à l'ouest du Cervin, sur la frontière
italo-suisse, s'appelle aussi "Mont Thabor", et l'un des torrents qui en
descendent est le "Saint-Barthélemy". Au nord et au sud de ce sommet,
signalons la présence du barrage de St-Barthélemy, et d'une chapelle
dédiée au même saint. Nous voyons un autre mont Thabor, cette fois
sur la frontière franco-italienne, un peu au sud de Modane. A son sujet
nous lisons (in Paul Joanne, Dictionnaire géographique et administratif
de la France, Paris, 1905, t. VII, p. 4836)
:
"Presque au sommet du mont Thabor se dresse une vielle chapelle sous le
"vocable de N.-D. du mont Thabor. Le 24 août (jour de la saint Barthélemy),
"le curé de Mélezet (Italie) monte y dire la messe et une foule de pèlerins y
"affluent de toutes les vallées avoisinantes, parfois jusqu'au nombre de 4000 ou
"ou 5000. La date de la fondation de cette chapelle est inconnue. D'après les rensei-
"gnements de M. le Dr Fédéré, la tradition populaire en fait remonter l'érection
"au XIe siècle"
Ceci se passait en Italie, mais il en était de même en France, puisque
à Névache, au sud de ce mont Thabor, on faisait aussi un "pèlerinage
de saint Barthélemy". Enfin, si nous regardons le mont Tabor près des
lacs de Laffrey, au sud de Grenoble, nous remarquons, que non seulement
il en descend le ruisseau de St-Barthélemy-de-Séchilienne, mais que
la fête de La Valette, commune la plus rapprochée du mont, est le 24
août, jour de la Saint-Barthélemy. Nous le répétons, s'il s'agit de coïnci-
dences, elles sont pour le moins curieuses". "

Même si le trait est parfois un peu forcé (le ruisseau de Saint-Barthélemy-de-Séchilienne ne descend pas directement du dernier des trois monts, mais coule un peu plus au nord, et la commune de La Valette n'est pas la plus proche), ces circonstances sont suffisamment concordantes pour instiller le doute: est-ce que finalement ce ne serait pas tout simplement le nom Thabor en lui-même qui soit devenu associé à Barthélemy à une époque indéterminée, et pour une raison indéterminée, ceci indépendamment de notre sombre étang du Diable ? Alors les chapelles construites au pied de ces multiples monts Thabor seraient prioritairement des chapelles Saint-Barthélemy, et les ruisseau s'en échappant seraient fréquemment des ruisseaux de Saint-Barthélemy, et le Diable et ses orages sulfureux n'aurait rien à faire là-dedans. Ceci est possible, bien qu'indémontrable en l'état actuel des connaissances. Mais il n'est pas impossible non plus que la coïncidence ne soit qu'apparente, et qu'en fait tous les monts qui ont été baptisés "Thabor" dans l'Histoire l'aient été précisément en raison du fait qu'ils étaient de longue date parés d'une aura spéciale, mystique ou surnaturelle, et qu'alors, le volcanisme ou les orages n'étant pas loin, l'association avec Saint-Barthélemy ait émergé naturellement et systématiquement. En effet l'attribution du toponyme biblique "mont Thabor" à un sommet local est loin d'être un fait anodin et doit nécessairement découler, selon nous, d'une aura particulièrement puissante, liée à une vénération ancestrale.

En l'absence d'élément plus solide, non connu à ce jour, concluons que le schéma exposé ci-dessus reste plausible même s'il ne permet pas d'expliquer valablement les trois cas "alpins". Il faudrait, pour se faire une idée plus précise, aller vérifier les légendes associés à ces trois monts Thabor alpins et aux lacs qui les entourent, etc.

 

2 ) Explication à partir du catharisme

Un certain nombre d'auteurs s'aventure sur des pistes faisant intervenir les cathares pour expliquer l'émergence du toponyme Saint-Barthélemy. Dans ce domaine, on rencontre parfois des explications un peu "spéculatives" étayées sur des éléments bien ténus. Comme précisé plus haut, énormément de choses ont été dites à propos des cathares, souvent au mépris de la plus élémentaire rigueur historique, et la plus grande prudence s'impose donc dès que l'on aborde le sujet.

Présentons d'abord, afin de nous en débarasser rapidement, un point de vue assez extrême et simpliste, selon lequel le trésor des cathares aurait tout simplement été constitué d'un prétendu Evangile de Saint Barthélemy. Tout en gardant ses distances avec cette "théorie", M. Calmein (2006) rapporte que: "certains prétendent également que le trésor des cathares, que l'on suppose avoir été caché dans nos montagnes vers la fin du siège de Montségur, en 1244, serait en tout ou partie constitué de l'évangile de Saint-Barthélemy". La suite du raisonnement consiste sans doute à affubler la montagne où le précieux manuscrit a été caché du nom du saint lui-même. Inutile de dire que l'on ne trouve nulle trace ancienne de cette "légende" dans les écrits, et qu'elle a très certainement germé dans l'esprit enflammé d'un néo-cathare de la fin du XIXe, ou du XXe siècle. Cette thèse repose vraisemblablement sur les deux éléments suivants: le premier est que Bartélemy était effectivement l'un des douze apôtres, et a donc très bien pu, à ce titre, produire un évangile lui-aussi; le second est que la nature du "trésor des cathares" était peut-être immatérielle, intellectuelle. C'est une hypothèse à laquelle beaucoup d'investigateurs du catharisme se rallient, faute d'avoir jamais trouvé trace matérielle d'un tel trésor: le "Graal" que les cathares auraient voulu mettre à l'abri, serait non pas un objet matériel, mais plutôt un certain nombre de manuscrits, fondamentaux à leurs yeux. Ainsi F. Niel (1973) écrit-il (p. 294):

"En conclusion de ce dramatique épisode, il nous plaît de croire que
les fugitifs ne sauvèrent pas un trésor matériel, puisque celui-ci avait été
mis en sûreté deux mois auparavant. Il s'agissait, croyons-nous, d'objets
plus précieux, d'un trésor spirituel, peut-être des parchemins, sur
lesquels étaient écrits les secrets d'une religion qui empêchait ses adeptes
de craindre la mort par le feu? Retrouvera-t-on un jour ce trésor ?".

A part cela, cette thèse mettant en jeu un prétendu évangile selon Saint-Barthélemy vénéré et sauvé par les cathares, ne repose sur rien de concret. Nous nous en tiendrons là pour cette piste qui n'est basée sur aucun élément concret, et qui semble plutôt issue des rêveries exaltées de quelque "détective" néo-cathare.

 

Plus intéressante et sérieuse apparaît la voie qui consiste à attribuer à Barthélemy une place spéciale dans la religion cathare, et à imaginer que ce sont les cathares qui auraient pu rendre un culte particulier à Barthélemy, notamment au sommet de notre pic. Dans cette optique, ce seraient les cathares qui seraient à l'origine de ce changement de dénomination. Ici du moins, quelques éléments tangibles viennent étayer la thèse. Ainsi, M. Calmein (2006) rapporte les propos tenus par l'historien A. Moulis au cours d'une émission radiodiffusée:

Saint barthélemy et la Cathares:
Saint-Barthélemy, qui fut l'un des douze
apôtres, prêcha l'évangile, croit-on, dans les
Indes et en Ethiopie. Il fut écorché vif en
Arménie vers l'an 71 de notre ère. Vers
le début du XIIe siècle, au retour de la
première croisade, ses reliques furent
rapportées de Terre sainte et offertes à
l'abbaye de Saint Sernin de Toulouse, laquelle
possédait de nombreux prieurés dans le pays
de Foix, notamment la presque totalité de ceux
de la vallée de Vicdessos, ceux de Celles,
d'Arignac, de Mérens, etc.
D'autre part, la plupart des chapelles érigées
dans les anciens châteaux féodaux et ailleurs
furent dédiées à Saint-Barthélemy.
Essayons d'expliquer cette vénération dont a
été l'objet ce martyr dans notre pays. Lors de
la croisade contre les albigeois, les croisés de
Simon de Montfort s'acharnèrent à détruire en
particulier les chapelles dédiées à Saint-
Barthélemy dans les châteaux qu'ils
réussissaient à réduire, notamment celles des
châteaux de Lavelanet, Saverdun, etc.
Cet apôtre qui s'était fait remarquer par son
humilité, et qui, de ce fait, se trouvait auprès
du peuple, avait été adopté par les Albigeois
ou Cathares; et leurs évêques avaient choisi
son nom de préférence à tout autre.
Les cathares, traqués de toutes parts, surtout
à partir de 1210, se réfugièrent dans les
montagnes, se retranchèrent de préférence
dans les châteaux-forts les plus inexpugnables
tels que Montségur, Lordat, Montréal-de-Sos;
mais ils se cachaient aussi dans des grottes,
excavations, ou abris naturels de toute sorte
que le pays de Foix possède en grand nombre.
Et ceci explique que dans tous ces lieux
d'asile, ils vénérèrent Saint-Barthélemy et
dédièrent à cet apôtre-martyr des oratoires et
chapelle qu'ils édifièrent parfois très loin de
toute habitation, et à l'abri d'éventuelles
incursions ennemies.
L'exemple le plus typique de ce culte nous est
donné par cet oratoire juché sur l'ultime
pointe de ce pic qui a conservé le nom du saint
et qui culine à 2368 m d'altitude.
Cependant, après la chute de Montségur, en
1244, le château de Montréal-de-Sos, près
d'Olbier, fut un autre refuge de Cathares, et
on s'explique ainsi pourquoi, sur le chemin qui
reliait Lordat, Montségur et Montréal, à
travers la montagne, d'autres oratoires furent
édifiés et dédiés à Saint-Barfthélemy, par
exemple la vieille chapelle qui se trouve au-
dessus et au nord-ouest de Larcat, et dont le
sommet voisin (1260 m) s'appelle signal de
Saint-Barthélemy. Il n'est pas impossible
qu'un second oratoire ait été édifié non loin de
là, au Col Doulent, car le lieu porte le nom
bien significatif de "Oratory".
D'autres chapelles ont conservé le souvenir du
culte de Saint-Barthélemy: la "Gleiso
bièlho" d'Auzat possède la statue en bois du
saint; des panneaux en bois sculpté
représentent son martyre dans les églises
d'Oust et de Lavelanet, un tableau de l'église
de Saverdun représente également le même
martyre et le nom de Saint-Barthélemy a été
conservé par la chapelle du château ruiné de
Durban. Enfin, un certain nombre d'églises
existantes sont dédiées à ce saint: Durban,
Aigues-Juntes, Montferrier, Caumont, Biert,
Ignaux, L'Herm, Le Fossat, Oust, Castillon-
en-Couserans.
L'ancien oratoire du pic Saint-Barthélemy
Quand on arrive au sommet de ce pic, on est
surpris de ne pas apercevoir l'oratoire que
signalent les cartes. Mais en examinant
attentivement les lieux, on distingue quelques
fragments de murs qui apparaissent au ras du
sol et qui donnent une idée de la modestie de
cette ancienne construction. Ce ne pouvait être
qu'un oratoire roman, semblable à tous ceux
qui viennent d'être signalés, mais plus petit
encore; car malgré la modestie de la
construction, il avait fallu débiter sur place la
pierre et transporter à dos d'homme le sable et
la chaux ainsi que les outils nécessaires pour
ce travail. Il ne faut pas oublier que, depuis
Axiat, Montségur ou Lapeyregade
(Montferrier), il faut au minimum cinq heures
de marche pour arriver au sommet, sans
aucune charge sur le dos. J'ai accompli ces
différents trajets. Au prix de quels eforts les
cathares de Montségur apportèrent-ils là-haut
tout ce matériel nécessaire ! On ne peut
préciser, faute de documents, la date à
laquelle fut construit l'oratoire; mais il
semblerait logique de la situer dans la
première moitié du XIIIe siècle, peut-être
avant la chute de Montségur (1244), au
moment où cette forteresse était assiégée, ou
bien quelque temps après cette chute, alors
que les Cathares échappés au bûcher et à la
prison se réfugièrent vers Lordat en
franchissant la montagne. Et peut-être
quelques uns d'entre eux élurent-ils domicile,
pendant quelques temps, au lieu dit "Le Trou
de l'Ours" situé près du col qui sépare les
sommets du Saint-Barthélemy et du Soularac ?
Ce nom de Trou de l'Ours fut donné à une
sorte de grotte que les ours utilisèrent comme
tanière; et cette excavation est accompagnée
de divers abris sous roche propices à un
séjour humain plus ou moins prolongé.
L'oratoire était en ruines au début du XIXe
siècle. Mais au commencement du Moyen-Age,
il devint un but de pèlerinage, le 24 août de
chaque année, le jour de la Saint-Barthélemy:
les habitants qui s'y rendaient passaient sur
les bords du Lac Noir, et ils jetaient dans les
eaux, en forme d'offrandes, des étoffes, des
toisons entières, des fromages, etc. La foi des
populations d'alors devait être très grande si
l'on songe au long et pénible chemin à
parcourir pour arriver là-haut. Mais ce
pélerinage ne dut pas être de longue durée car
un historien du XVIIe siècle, Jean
Astruc, en parle déjà au passé...".

Il y a un certain nombre d'inexactitudes dans le récit d'A. Moulis: la scène des offrandes se rapporte en vérité au lac du Mont Hélanus (de nos jours, Lac de Saint-Andéol, en Aubrac), et elle est décrite par Grégoire de Tours, au VIe siècle, qui parle des Gaulois et non pas des gens du Moyen-Age. Ce fragment de Grégoire de Tours est rapporté dans l'ouvrage d'Astruc auquel Moulis fait référence. Il n'existe aucun témoignage attestant du fait que l'on ait fait des offrandes dans l'Etang du Diable (ou Lac Noir) spécifiquement, que ce soit à l'époque gauloise ou médiévale. Pour ce fait, il n'y a tout au plus que des présomptions. De plus Astruc vivait et publia au XVIIIe siècle, et non pas au début du XVIIe siècle. Enfin, Moulis fait remonter l'érection de l'oratoire au XIIIe siècle, alors qu'il fait s'y rendre les pélerins dès le début du Moyen-Age, soit plusieurs siècles auparavant, ce qui est incohérent. Mais en dépit de ces inexactitudes, Moulis s'engage dans une voie intéressante et originale, qui a le mérite de reposer sur des données concrètes relatives au culte de Saint-Barthélemy. Ses observations sur la vénération particulière de Barthélemy dans notre région, ainsi que sur la dédicace des chapelles de nombreux châteaux féodaux ariégeois, semblent effectivement apporter des présomptions dans son sens. Il serait également intéressant de déterminer, par d'autres études, le degré d'antiquité des oratoires en question, qui semblent effectivement jalonner un itinéraire par les montagnes dans le Haut-Sabarthés. Ces études permettraient peut-être de valider ou d'invalider les hypothèses de Moulis selon lesquelles, ces oratoires sont romans et cathares. En revanche, ses développements au sujet du Trou de l'Ours, vraiment peu hospitalier, semblent peu plausibles sauf à considérer des séjours de quelques jours.

Parler d'une recatholicisation du sanctuaire intemporel après la victoire de la croisade contre les albigeois.

 

     Les objections à cette thèse

Cette thèse comporte, tout comme l'autre un certain nombre de points faibles. Le plus sérieux d'entre eux est le fait que la dénomination "Saint-Barthélemy" comme toponyme n'apparaissent que vers la fin du XVIe siècle ou le début du XVIIe, ce qui représenterait environ quatre cents ans après l'érection de l'oratoire. Ceci ne semble pas très logique: on s'attendrait en effet à ce que le pic prenne immédiatement le nom de l'oratoire, dès le début, au moment ou cette dédicace marque le plus les esprits; ou bien qu'il ne le prenne jamais. Mais on ne voit pas très bien pourquoi le pic prendrait ce nom avec un tel "retardement" de quatre siècles. Ce qui semble douteux également c'est que l'Eglise catholique ait "récupéré" à son compte un tel pèlerinage si ç'avait été un pèlerinage cathare à l'origne. L'esprit de l'Inquisition était plutôt d'essayer d'effacer toute trace d'hérésie, et on voit donc mal l'Eglise accepter de mettre les pas de sa procession dans ceux des hérétiques. Dans son ouvrage, Astruc (ainsi que Fabre, 1639) nous apprend en effet que le matin du 24 août, au sommet, se disait une messe (catholique et romaine), ce qui implique donc la présence d'un prêtre catholique à ce pèlerinage rituel. Cette théorie à base de catharisme, ne permet pas non plus d'expliquer le glissement qui semble s'opérer dans les textes anciens pour le toponyme "Saint Barthélemy" qui s'applique d'abord aux étangs avant de s'appliquer au Pic lui-même, qui ne prend sa dénomination moderne que vers le milieu du XVIIIe siècle.

3 ) Explication à partir du protestantisme

Cette piste est totalement inexplorée à ce jour. Pourtant, l'ouvrage de Delescazes (16??) montre que dans la région, la Réforme a été particulièrement bien accueillie dans le peuple, qui semble l'avoir vécue un peu comme un "catharisme bis", un moyen de prendre à nouveau ses distances (ou sa revanche) par rapport à un catholicisme distant, considéré comme dévoyé de ses origines, corrompu, et retranché dans ses privilèges matériels. Lorsque l'on examine le cours de l'histoire locale, on s'aperçoit que nos peuples montagnards sont pour ainsi dire passés d'une hérésie à la suivante sans discontinuité notable, et ce, depuis les débuts de la christianisation.

L'objection majeure à cette piste réside dans le fait que en l'an 1600, le pèlerinage au sommet semble déjà suffisamment ancien pour qu'Olhagaray en parle sans préciser qu'il s'agit d'une nouveauté récente, disons, à l'échelle d'une vie humaine. En effet, il ne dit pas "il y a une chapelle descouverte, où depuis quelques années, on va en ce temps là", mais il dit simplement "il y a une chapelle descouverte, où l'on va en ce temps là", ce qui semble indiquer que ce pèlerinage est suffisamment ancré dans la tradition pour justifier cet emploi du présent de vérité générale sans précision supplémentaire. On peut penser que si le pélerinage avait été de date récente en 1600, Olhagaray, qui était précis dans les descriptions qu'il faisait pour ses chroniques, aurait peut-être relevé le détail par écrit. Fabre, en 1639, parle en des termes similaires de ce pèlerinage comme s'il était parfaitement établi depuis longue date. Fabre dit simplement "Singulis annis mense Augusto..." (chaque année au mois d'août...) et présente donc aussi implicitement le culte comme établi de trop longue date pour pouvoir être daté. De même Astruc en 1737 parle de ce pèlerinage comme très ancien, puisque selon lui, il est la survivance d'un rite païen. Si le pèlerinage n'avait été établi qu'un siècle ou un siècle et demi plus tôt, il n'aurait pas avancé cette explication basée sur la paganisme. En résumé, il semble bien que ce pélerinage remonte à une époque bien plus ancienne que les guerres de religion, ce qui n'est pas en faveur de cette explication. Néanmoins, on ne peut, en l'état actuel des connaissance fermer complètement cette voie d'exploration, car en la matière, rien ne fonctionne de façon absolument cartésienne. Il serait possible que le culte au sommet existe antérieurement à la Réforme, à une date voisine du 24 août, mais que le climat de la Réforme ait incité soit les protestants, soit les catholiques à raviver la pratique de ce culte en l'adaptant au climat en vigueur.


Conclusions

Le nom ancien "Mons Tabor" puis "Montanha de Taba" attesté depuis le XIIIe siècle, a été remplacé, probablement vers le XVIIe ou XVIIIe siècle par le toponyme "Pic de Saint-Barthélemy". Ce remplacement semble s'être effectué par étapes, s'appliquant d'abord à la chapelle (ou l'oratoire) puis aux étangs avant de désigner le pic lui-même et enfin le massif en entier. On note que ce toponyme est venu se superposer à un ancien toponyme, et donc à lépoque de cette substitution, il n'y avait absolument aucune nécessité impérative d'attribuer un nom supplémentaire à cette montagne, qui en portait déjà un, ô combien prestigieux. Il est donc tout à fait vraisemblable que l'adoption d'un tel hagiotoponyme ait un rapport direct avec un épisode à lié la religion, que ce soit le catharisme, le catholicisme, ou même le protestantisme.

Si on adopte un point de vue strictement catholique, cette substitution apparaît alors comme une "énième" tentative de christianisation du lieu, pour essayer de mettre fin à des croyances et/ou des cultes à connotation trop païenne, et trop fortement ancrés parmi la population locale.

Il serait également tentant de relier cette susbtitution toponymique à un épisode lié au catharisme, que ce soit dans le cadre d'un culte particulier voué à Barthélemy de la part des cathares, ou dans le cadre de la lutte contre l'hérésie albigeoise, l'institution de ce culte catholique à Barthélemy en ce lieu venant marquer concrètement le triomphe de la religion catholique romaine dans la région. Mais les sources écrites semblent infirmer ces deux hypothèses, car le nouveau toponyme n'est absolument jamais mentionné avant la date de 1600. On pourrait invoquer une réticence à utiliser ce nouveau toponyme imposé par Rome, mais alors c'est son émergence soudaine au XVIIe, soit quelques 400 ans plus tard, qui poserait problème. D'après ce que nous pouvons apprendre par les sources, et malgré la proximité entre Montségur et le Tabor, les vicisssitudes toponymiques de notre pic ne semblent pas avoir eu de lien direct avec la croisade contre les albigeois.

Enfin, un lien avec les guerres de religions liées à l'émergence de la Réforme ne peut être exclu a priori puisque c'est avec cet épisode que les dates de la substitution semblent le mieux coïncider. Néanmoins cette piste n'a pas été explorée jusqu'ici, et les documents sont bien rares pour préciser un peu plus dans cet voie.

 

D'un point de vue personnel, il me semble que c'est tout de même la première explication, basée sur la lutte contre des croyances et de rites païens, qui est la plus solide, la plus plausible, et qui est le plus en accord avec tous les auteurs anciens, notamment ceux des XVIe et XVIIe siècles.


références internet:

[1]Montagnes de feu, montagnes sacrées, Th. Bouysse-Cassagne et Ph. Bouysse (Document au format PDF)
[2] Vulcain, in Site de l'Académie de Versailles
[3] Vulcain, in Le Musée Luxembourgeois d'Arlon (Belgique)
[4] Dictons météorologiques, in site "Amicale Généalogie"
[5] Barthélemy dans la Légende Dorée, in site de l'Abbaye Saint-Benoît (Suisse)

Page mise à jour le 20/12/2006.